L’insoutenable imprévisibilité de l’être

Nos comportements de consommateur ne se mettent pas tous en boîte. Nous sommes (aussi) imprévisibles, irrationnels, extravagants, illogiques, déroutants.

De longue date, le marketing de masse est mort et enterré.

Le marketing par segmentation catégorielle sombre en phase terminale, entraînant avec lui études de marché, 4P, Maslow, panels et analyses des parts de marché.

Passé par la case hyper-segmentation, le marketing d’aujourd’hui ne jure que par le ciblage individualisé, personnalisé, one-to-one en bon français.

En visant l’individu, l’unique, le « je », la ménagère de moins de 50 ans a laissé la place à Françoise, Christophe, Yasmine…

Pour tenter d’atteindre ces cibles individuelles avec le maximum de pertinence, la clef miraculeuse est la data, toutes ces traces que nous laissons derrière nous, navigation web et applis, géolocalisation, cartes de crédit ou de fidélité…

Pour autant le marketing peut-il se baser exclusivement sur les données ?

Le consommateur peu ou mal pisté échappe aux modèles algorithmiques, dans la mesure où le tracking comportemental se fonde sur des comportements visibles, extérieurs.

Par ailleurs, trop d’info tue l’info. La data, et l’armada technologique qui va avec, donnent parfois l’impression d’un bulldozer pour écraser une mouche.

Se noyer sous la data permet au marketeur d’être paresseux. La baguette magique de la data lui fait croire qu’il peut éviter d’aller « à la rencontre des vrais gens ».

Peut-on comprendre finement une civilisation à partir de la data ? Non, c’est l’étude comportementale et sociale in situ qui donne les clefs. Claude Levi-Strauss n’avait pas de data, il se déplaçait pour s’immerger sur place. Le mot « marketing » gagnerait d’ailleurs à être remplacé par « sociologie des marchés ».

Pour reprendre la glose du marketeur classique, la data, c’est du quanti, pas du quali.

Réduire l’homme à ses seules traces numériques est insuffisant. Sa part d’irrationalité ne sera pas prise en compte par les algorithmes.

Enfin, la recommandation prédictive ou la publicité personnalisée enferment le consommateur dans sa bulle cognitive. Comment répondre à ses aspirations lorsqu’il veut être étonné ?

Dans le marketing one to one, la dimension proprement humaine, ce qui fait précisément la spécificité de l’être humain, est délaissée. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.

Le marketeur qui se cache derrière ses machines et ses robots, ses plateformes et ses algorithmes, ne doit pas oublier l’approche sensible, empathique, créative, erratique, bref humaine, de sa cible.

Sic transit mundi.

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